Lundi gris et neigeux. La matinée arrive à son terme lorsque, par nécessité, je me vois dans l'obligation de favoriser la marche aux transports publics. Je déambule dans une ville bruyante et les sourires que je croisent sont estompés par l'addition d'un vent glacial et d'un début de semaine fatalement redondant. La fin de l'année approche, apportant avec elle sont lot habituel de stress et de fatigue qui se lisent sur les visages. Certains semblent outrés de me voir errer à faible allure, souriant, avec mon Nikon entre les mains. Ils vocifèrent peut-être sur une hypothétique injustice, se demandant pourquoi je ne suis pas au travail. Comme tout le monde. Comme eux. Ils ne se doute probablement pas que je souffre de ne pas pouvoir exercer mon métier. Mais ils ne savent pas non plus que la raison de mon sourire est étroitement liée au fait que mon état s'améliore et que, aujourd'hui, j'ai obtenu l'accord de reprendre progressivement mon activité professionnelle. Bref, j'extrapole. J'extrapole toujours les intentions des autres. Mais, aujourd'hui, peu m'importe car je suis heureux de retrouver mon espoir, mon sourire, mon énergie et, par extension, mon entreprise. Je vais mieux et je saisi cette occasion pour m'adonner à mon passe-temps favori, la photographie.
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Je jette un rapide coup d'œil à l'horloge trônant à l'entrée de la gare. Il est 10h58 lorsque je me décide à débuter une marche au gré du vent avec, comme objectif, de rejoindre mon domicile à une dizaine de kilomètres de là. Mon casque à réducteur de bruit sur les oreilles, je lance l'album All Bitches Die de Lingua Ingnota qui se marie plutôt bien avec l'ambiance froide et terne de ce jour de décembre. Paradoxalement, les artistes musicaux s'orientant dans des styles sombres, teintés de brutalité et portant des lyrics crus, exacerbent ma créativité. Je suis, depuis toujours, attiré par l'horreur artistique et les représentations visuelles versées dans la peur et le sentiment de malaise. Peut-être que pour pallier mes traumas complexes, j'ai besoin de me retrouver dans ces univers pour m'octroyer la possibilité de maitriser mes peurs. Depuis leur récente popularisation, j'ai une fascination pour les espaces liminaux. Ces espaces transitoires conçus pour accueillir des foules éphémères en constant mouvement mais qui, une fois privés de leur sens premier, dégagent un sentiment d'irréel dérangeant, à l'image d'un aéroport ou d'un parking vide. Toujours en quête de ces lieux, j'apprécie sillonner les villes en empruntant les ruelles que personne n'affectionnent, ne menant à rien ou ne servant qu'un nombre très restreint d'utilisateurs.
Durant mes quelques déambulations, j'ai été surpris de tomber, au détour de ruelles aléatoires, sur des curiosités que personne ne soupçonnes ou sur des bâtiments aux architectures fascinantes se découvrant aux curieux qui lèvent les yeux. Je prends un plaisir immense à immortaliser, en tant que photographe amateur, au mieux ces étrangetés.
Au coin d'une bâtisse, Lepus Minaciare.
11h37. En bordure de ville, un quartier de maisons bourgeoises ornées de jardins propres aux larges haies à la coupe au carré. Entre deux villas, une bâtisse au cachet indéniable se démarque. Sur ses murs aux fissures apparentes et au lierre valsant, des affiches d'expositions datant d'un autre temps. Une large porte d'atelier au vitrage satiné par le temps laisse entrevoir un amoncellement de bric et de broc sur de vieux établis puis, au coin du mur, sur les pavés parsemés de mousse, de curieux lièvres de deux bons mètres de haut aux allures de joueurs de baby-foot disposés nonchalamment les uns contre les autres, tel de simples planche de bois. (...)
Oiseau Brutaliste.
12h07. Zone industrielle jonchée de bâtiments administratifs appartenant aux plus importantes multinationales d'Europe. Un lieu froid et austère où règnent les sourires contraints et les constructions de verre et de béton. Dans une ruelle étroite, une architecture brutaliste attire mon œil curieux. Surplombant les routes, une enclave de béton gris au sommet de l'immeuble se voit agrémentée d'un oiseau de plastique bleu qui se démarque du fond comme un éclair dans l'obscurité.
Parabole et Problème d'échelle.
12h20. La neige tombe à petits flocons. Je m'arrête quelques instants, le temps de me sustenter et d'en griller une avec un café. Puis, arrivé vers un énorme rond-point, je me décide à emprunter un passage sous route car, de l'autre côté, se trouve un étrange dôme de béton qui m'attire. Arrivé sur place, je me félicite d'avoir pris cette décision. Devant moi, se dresse le dôme qui abrite l'entrelacement de multiples chemins, tantôt amenant en contrebas tantôt se terminant en impasse. L'un de ces chemins mène à un bâtiment conceptuel au toit parabolique et au mur unique vitré en forme de cercle.
Faisant un quart de tour, je tombe sur un espace qui me fait esquisser un sourire tout en ayant un regard interloqué. Un carrefour aux dimensions étranges à en juger par la taille standard du parcomètre en son centre.
Se baigner et s'asseoir
12h50. Sur une voie très passagère, le long de laquelle poussent comme de la mauvaise herbe des immeubles commerciaux colossaux, je vois au loin les bassins de natation qui font la joie de tous les habitants de la région lorsque les températures sont hautes. Souvenez-vous, dénués de leur sens premier, les endroits publics prévus pour être bondés sont fascinant hors contexte, de par leur aura dérangeante. Les espaces liminaux.
Non loin de là, une chaise en bois détonne du fond hivernal par ses rayures rappelant la chaleur de l'été mais surtout par son emplacement incongru, au milieu de champs, dans une pente inhospitalière.
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Des allures de l'Est
13h12. Me perdant volontairement de ruelle en ruelle, je finis par déboucher dans un quartier d'immeubles datant des trente glorieuses. Des structures étroites et hautes rappelant les pays froids plus à l'Est. Cette tour dépasse ses petites sœurs, perçant le ciel gris d'un gris plus foncé traversé de lignes orange délavé donnant une sensation de froid plus froid encore.
13h34. Je termine mon voyage sous la neige. Les véhicules peinent à évoluer sur les routes habillées de blanc. Tout est plus calme sous la neige. Cette ambiance cotonneuse clôture mes treize kilomètres de marche. Je suis détrempé et mes jambes me rappellent que je n'ai plus vingt ans mais je suis satisfait d'avoir parcouru cet état de vagabondage physique et mental.
Bien à vous
Le Renard
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