Les combats font rage depuis des décennies entre "pro" et "anti" nucléaire, l'accident de Tchernobyl et le drame de Fukushima n'aidant pas à améliorer l'image que la population s'en fait. Mais le secteur le plus malaimé de la production énergétique mérite-t-il vraiment son statut de vilain petit canard. C'est ce que nous allons tenter d'éclaircir dans cet article.
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Amalgame
Durant la seconde guerre mondiale, un projet de développement d'une arme nucléaire est lancé par les américains. Le tristement célèbre projet Manhattan voit le jour en 1939, soutenu par le Royaume-Uni et le Canada. Deux villes japonaises, Nagasaki et Hiroshima, sont alors prises pour cibles par les Etats-Unis en 1945. Ces derniers prétextent, comme à leur habitude, une nécessité militaire afin d'imposer leur vision de la "démocratie". Naturellement, leur besoin d'affirmer leur supériorité face à l'Union Soviétique en est la raison sous-jacente.
Ces évènements dramatiques, avec un nombre de morts estimé à 250'000, vont rester à jamais gravés dans les mémoires et ternissent, par la même occasion, la vision du nucléaire civil qui voit le jour 9 ans plus tard avec la première centrale nucléaire reliée au réseau électrique conçue par les soviétiques.
Dans le même temps, naissent les premières oppositions au nucléaire militaire et civil, les partisans associant cette énergie au mal absolu. L'amalgame est fait et assainir l'image des centrales devient difficilement envisageable.
Malgré des progrès considérables dans ce domaine et des normes de sécurité poussées à leur paroxysme, la population reste méfiante face à une énergie à l'image salie et dont le fonctionnement complexe reste difficilement accessible au grand public.
Des croyances tenaces
Lorsque l'on évoque l'énergie atomique, l'un des arguments les plus récurrents est la pollution atmosphérique. Les émissions de Co2 sont au centre des préoccupations, et ce de manière exponentielle, depuis que les réchauffement climatique n'est plus une musique d'avenir mais une réalité bien palpable. Alors est-ce que nos réacteurs font partie de la famille des gros pollueurs ?
Les tours
Les tours aéroréfrigérantes imposantes si iconique qui se couple aux centrales suscitent l'effroi du peuple par l'épaisse fumée blanche qui s'en dégage. Pourtant nous pourrions déjeuner à leur sommet sans que notre santé y soit inquiétée puisque ces dernières ne font que de rejeter de la vapeur d'eau (ceci dit, je vous le déconseille car c'est illégal et chuter malencontreusement d'une tour qui peut s'approcher des 180m ne vous laisse pas beaucoup de chance de survie). Ces tours sont visibles sur les infrastructures en bord de rivière dont le système de refroidissement (source froide) ne permet pas d'abaisser suffisamment la température de l'eau de rivière et qui nécessitent un refroidissement supplémentaire afin d'éviter une pollution thermique de la source. Pour résumer, cela évite aux poissons de se retrouver dans des bains thermaux. C'est plutôt bien non ? Il est important de préciser que ces tours se retrouve également aux abords d'autres types de centrales thermiques comme les centrales à charbon.
Le réacteur
Les tours n'émettent pas de Co2 mais qu'en est-il du réacteur lui-même ? Une centrale thermique (nucléaire, gaz, charbon, etc...) fonctionne toujours sur le même principe, émettre de la chaleur pour faire tourner une turbine qui transformera l'énergie thermique en énergie électrique en utilisant le premier principe de la thermodynamique, la conservation d'énergie. Lorsque nous parlons de centrales à charbon ou à gaz, l'émission de chaleur se fait par la combustion de ces derniers. C'est cette combustion qui dégage du Co2.
Puisque la fission nucléaire n'est pas basée sur le principe de combustion, elle ne dégage pas de Co2.
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Photo : Jakob Madsen
Du coup, le Co2 ?
Malgré le fait qu'elle ne dégage pas de Co2 lors de son fonctionnement, une centrale nucléaire n'est pas neutre en carbone pour autant car, pour une mesure exact des émissions, il est nécessaire de prendre en compte tout un tas de facteurs comme la construction, le démantèlement, l'extraction des matières premières, les déchets, etc... Le GIEC (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat) introduit, lors de son premier rapport, une mesure dont le calcul permet de prendre en compte au mieux toutes ces données, la tonne équivalent Co2 (eqCo2). Pour une définition de cette dernière, cela se passe ici. La valeur médiane annoncée par le GIEC pour le nucléaire est de 12g eqCo2/kWh (la valeur minimum étant annoncée à 3,7) mais l'ADEME (Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie), en France et pour le parc nucléaire français, annonce le chiffre de 6g eqCo2/kWh. A titre de comparaison, une centrale à charbon émet 1058g eqCo2/kWh. Pour le gaz naturel les émissions atteignent 443g eqCo2/kWh et pour l'éolien il est surprenant de constater un chiffre de 10g eqCo2/kWh. Un fait pas si surprenant lorsque l'on observe les raisons. Une éolienne a un taux d'efficience moyen de 25% contre 90% pour le nucléaire. Pour éclaircir ce propos, cela signifie que, en raison du vent qui n'a pas de constance, l'éolienne ne produit que le quart de l'énergie qu'elle est capable de produire alors que le nucléaire, étant une énergie pilotable, a une production quasi-équivalente à sa capacité. le second point important est la durée de vie. Une éolienne a une durée de vie de 20 ans contre 60 pour une centrale nucléaire.
Extraction et pollution
L'extraction de l'uranium se fait dans de nombreux pays, comprenant des mines à ciel ouvert et des mines souterraines, mais la majorité (40% environ) se concentre au Kazakhstan. Son extraction a des effets catastrophiques sur l'environnement avec des retombées de poussières radioactives. Maintenant, prenons en compte les quantités nécessaire à la production d'énergie. Pour une centrale nucléaire de 1000 mégawatts, l'apport annuel en uranium est d'environ 20 tonnes. Pour un parc éolien de 50 mégawatts, l'apport en cuivre nécessaire à leur fabrication s'approche des 90 tonnes pour une durée de vie moyenne de 20 ans. Si l'on tente une comparaison, cela nous donne 400T d'uranium (enrichi) pour un réacteur nucléaire de 1000 Mw sur 20ans et un peu moins de 1'800T de cuivre pour un parc éolien de puissance équivalente, soit 1000 Mw, sur ce même laps de temps. Les gisements de cuivre contiennent en moyenne 1% de minerai de cuivre ce qui signifie que les roches extraites sont à 99% des déchets miniers. Ces derniers contiennent un nombre important de minerais sulfurés, comme la pyrite, mais également de l'arsenic qui investissent les nappes phréatiques et contaminent les cultures et l'eau potable. Il faut savoir que l'extraction demande aussi une quantité gigantesque d'eau et, par conséquent, assèche les alentours.
Naturellement, tous ces défauts sont également présents dans les mines d'uranium et une usine nucléaire nécessite aussi des matériaux de construction. Ici, il est question de prendre un peu de recul sur les propos annonçant des énergies "vertes" ou "propres".
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Photo: Albert Hyseni
Déchets
L'argument le plus souvent évoqué lors de débats de la part des détracteurs du nucléaire est celui de la gestion des déchets. Il est vrai que les déchets radioactifs constituent un problème de par leur durée de vie. Pour partir sur des bases solides, il est nécessaire de faire un tour d'horizon des types de déchets existants.
Ces derniers sont répartis en quatre catégories selon l'ANDRA, la première étant constituée du plus problématique, le combustible usé composé de matières radioactives de haute activité à vie courte et de moyenne activité à vie longue. Nous y retrouvons, entre autres, de l'uranium appauvri, du plutonium ou encore des produits de fission. Le plutonium peut être réutilisé mais le reste est vitrifié et stocké pour des centaines de milliers d'années. Dans la catégorie MA-VL (Moyenne Activité à Vie Longue), nous retrouvons l'enveloppe du combustible en zirconium qui suit le même chemin de stockage.
Ces déchets représentent 0,2% des déchets nucléaire (en incluant les déchets médicaux, militaires et de la défense) en France, pays du nucléaire avec un total de 56 réacteurs en activité.
La seconde catégorie englobe les déchets MA-VL qui ne sont pas issus du combustible mais viennent de la structure métallique. Ces derniers sont immobilisés à l'aide d'un mortier puis recouverts d'une couche de béton pour finir au stockage également.
La troisième catégorie comprend les déchet à faible et moyenne activité à vie courte (FMA-VC). Ces derniers sont stockés dans des bâtiments en béton et ne constituent pas vraiment un problème puisque leur activité va d'une centaine de becquerels à un million de becquerels (Becquerel (Bq) = Nbre de désintégrations par seconde) sachant que le corps humain produit, en moyenne, 8'000 becquerels.
La dernière catégorie, à très faible activité, comprenant les déchets de certains travaux contaminés comme la terre, les boues ou les plastiques, ne dépasse pas les 100 Bq/g. Ces déchets sont conditionnés en big bag ou en fûts métalliques dans de l'argile à l'air libre.
Mesures
On estime à 200 Bq/m3 durant 30 ans le seuil d'exposition minimum pour voir une potentielle augmentation des risques de cancer chez l'être humain.
Cette mesure ne prenant en compte que le nombre de désintégrations par seconde, il est préférable d'utiliser le Seivert (Sv) qui, lui, prends en compte la zone du corps touchée ainsi que l'impact sur ce dernier. A titre d'exemple, la peau peut encaisser 50 millisievert (mSv) par année sans aucun souci mais le cristallin a une tolérance bien moindre de 15 mSv/an. Un passage au scanner de votre cœur vous administre une jolie dose d'environ 10 mSv et, de par les goudrons qu'elles contiennent, quatre cigarettes par jour pourraient (selon une étude de l'IAEA, vous offrir un dosage annuel de 7,3 mSv. Ceci dit d'autres études à ce sujet suggèrent une radioactivité du tabac bien moins grande mais ne réfutent pas les radiation de ce dernier. Fun Fact : Les bananes émettent 0.037 mSv et l'air que nous respirons contient naturellement du radon qui nous expose à une dose de 1,26 mSv/an.
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Photo: Oleksandra Bardas
Conclusion
Le nucléaire souffre d'une image désastreuse. Bien évidemment, cette ressource est loin d'être parfaite mais, aux vues des besoins actuels en électricité et de la nécessité de réduire nos émissions de Co2, il me parait judicieux de ne pas tout miser sur les énergies renouvelables en diabolisant le nucléaire qui, de plus, annonce des avancées prometteuses comme la fusion, ne produisant pas de déchets HA-VL, ou le projet MYRRHA, permettant une revalorisation des déchets (actinides faisant partie des produits de fission). Comme le dit si bien Jean-Marc Jancovici (dont je vous conseille les vidéos et livres), le nucléaire est un amortisseur de la décroissance. Et oui ! Le moyen le plus efficace de diminuer notre empreinte carbone est de diminuer notre consommation et aux vues des limites des ressources et du réchauffement climatique, cette décroissance semble inévitable. Il est donc, à mon humble avis, préférable de conserver cet amortisseur.
J'aurais souhaité parler de Fukushima et Tchernobyl dans cet article mais cela aurait conduit à une lecture interminable c'est pourquoi je pense publier d'autres articles sur le sujet prochainement (surtout que ce dernier est vaste et m'intéresse beaucoup).
Bien à vous.
Le Renard
Sources:
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Auteur inconnu (2021, 15 janvier) Les émissions de CO2 par énergie. economiedenergie.fr
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Fleury, A. (2023, avril) Que représente (réellement) une tonne d’équivalent CO2. Hellocarbo.com
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Produit de fission (2023, 16 mai). Dans Wikipédia. Repéré à
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Déchet de très faible activité (2023, 21 septembre). Dans Wikipédia. Repéré à
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