Depuis mon plus jeune âge, j'ai toujours ressenti un décalage avec le reste du monde. Cette différence a été la source de moqueries et de harcèlement durant toute ma scolarité. Je n'ai jamais réussi à comprendre les comportements de mes camarades et les conventions sociales. Par la suite, mon parcours professionnel fut parsemé d'embuches. Peinant à trouver ma voie, j'ai rebondi de poste en poste en oscillant entre anxiété et dépression. Il m'a fallut attendre plus de trente ans avant de cerner mes difficultés et avoir un diagnostic posé. Cet article est une clé de compression pour les personnes s'intéressant au TSA et le témoignage d'une différence invisible découverte tardivement.
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Illustration générée par IA (DALL-E)
L'autisme, c'est baver et crier.
Les aprioris sur l'autisme sont omniprésents. Je pense qu'il est nécessaire de faire un point sur ce qu'est l'autisme.
- Le trouble du spectre autistique n'est pas une maladie et ne se soigne pas.
- C'est un trouble neurodéveloppemental présent depuis la naissance.
- Ce trouble n'est pas déclenché par un évènement traumatique et ne "s'attrape" pas.
- On ne devient pas autiste, on né autiste.
- Il y a autant d'autismes différents que de personnes autistes (environ 1% de la population).
- L'autisme est un handicap.
- L'autisme chez une personne avec déficience intellectuelle n'est pas "plus fort". Iel n'a juste pas la capacité de pouvoir s'adapter.
- Dire à un autiste "ça ne se voit pas!" n'est pas un compliment. C'est l'équivalent de dire à une personne de couleur "Ca va! Tu n'es pas si noir!". L'autisme fait partie intégrante de la personnalité. C'est notre façon d'être (personnellement, je ne l'échangerais pour rien au monde).
Le TSA est un trouble envahissant du développement ayant, comme conséquence, des difficultés dans trois domaines principaux : la communication, les interactions sociales et le comportement (intérêts restreints, gestes répétitifs, rituels,...). Des comorbidités y sont fréquemment associées comme la dépression ou l'anxiété.
S'il est vrai que lorsque l'on parle d'autisme, la vision prévalente insinue une déficience intellectuelle, du mutisme et des crises incontrôlables, il est, cependant, important d'élargir cette vision car les dernières études montrent que la proportion de personnes autistes sans déficience intellectuelle est bien plus grande qu'il n'y parait mais leur capacité d'adaptation les rend plus difficile à détecter (c'est pour cette raison que l'on parle de spectre autistique).
Suradaptation
L'un des plus grands défis de l'autisme sans déficience intellectuelle est de savoir gérer sa vie en fonction de ses capacités énergétiques. Il vous semble absurde d'organiser vos activités en prenant en compte l'énergie cognitive qu'elles demandent et de refuser de voir des ami(e)s, alors que cela vous procure énormément de plaisir, car vous savez pertinemment qu'il vous faudra quelques jours pour récupérer? Bienvenu(e) dans le quotidien d'un autiste (désormais, il est préférable d'utiliser le terme "Trouble du spectre autistique" ou TSA). Pour la majorité du monde, boire un café entre ami(e)s, discuter avec des inconnu(e)s du temps qu'il fait, commander une baguette de pain ou faire un téléphone semblent des activités totalement anodines du quotidien mais pour une personne vivant avec un TSA, ces petites choses demandent une énergie considérable.
Boire un café entre ami(e)s demande une concentration accrue pour suivre les discussions et analyser la communication non-verbale. Il faut être attentif à regarder dans les yeux sans, pour autant, avoir un regard trop insistant. Il faut tenter de s'intéresser aux sujets qui ne font pas partie de nos centres d'intérêt. Il faut prendre garde à ne pas monopoliser la parole lorsque notre passion est évoquée dans une conversation. il faut une capacité d'analyse rapide des dires d'une personne et de son comportement pour savoir s'il faut montrer un acquiescement par le rire ou de la compassion. Il faut s'adapter.
Discuter avec un(e) inconnu(e) demande une analyse rapide de la situation. Prendre le temps de comprendre pourquoi cette personne nous adresse la parole et dans quel but. Fouiller dans les tiroirs de son cerveau, à la section "conventions sociales", pour tenter de dégainer l'une d'entres elles, en croisant les doigts pour que ce soit la bonne. La regarder dans les yeux, un court instant. S'assurer que cette personne s'adresse bien à nous. Et tout cela doit rentrer dans le laps de temps des salutations réciproques. Puis, la partie compliquée, le small talk. Des conversations de surface mêlant informations peu pertinentes et sourires courtois. L'analyse finale consiste à savoir à quel moment il est opportun de couper court à la conversation. Tiroirs des conventions sociales. Quitter la personne en tentant une démarche "décontractée" puis se questionner les 15 minutes suivantes sur la gestion de cette rencontre. Adaptation.
Commander une baguette de pain à la boulangerie demande, premièrement, une répétition en aval prenant en compte le type de mots que l'on va utiliser, le ton que l'on va employer et, par dessus tout, un plan B si la baguette souhaitée n'est plus en stock. Dans un second temps, Il est important de s'assurer que le moyen de paiement soit fiable. Vérifier si la monnaie dans le porte-monnaie est suffisante et si la carte de débit fonctionne correctement. Ensuite, vient le moment de pénétrer dans la boulangerie. S'il y a du monde, il est nécessaire de déterminer où se trouve la queue et de s'y insérer en maitrisant la potentielle crise d'angoisse liée à la proximité avec les autres clients. Lorsque vient le moment de commander, il faut se concentrer pour tenter de faire abstraction du bruit environnent afin de sortir la réplique révisée quelques minutes auparavant. S'adapter. La libération survient à la sortie de la boulangerie.
Faire un téléphone demande un certain temps de préparation (une dizaine de minutes dans mon cas). La tâche est ardue car il est impossible d'analyser le comportement de la personne à l'autre bout du combiné. Cette situation est source d'angoisse et de malaise car il est impossible de déterminer à quel moment la prise de parole est opportune. Une part d'improvisation est inévitable et cette dernière ne se marie pas avec l'autisme. La discussion se termine toujours dans une confusion certaine mêlant coupage de parole et raccrochage prématuré ou tardif. ADAPTATION.
Toutes ces étapes, prenant énormément d'énergie, lorsqu'elles sont mises bout à bout dans une seule journée, provoquent un sentiment d'épuisement total. Lorsque les journées de ce type s'enchainent et que nous ne sommes pas conscient(e)s de nos limites, une forme de "burnout" pointe le bout de son nez, conséquence de la suradaptation.
Hyperesthésie
Les personnes vivant avec un TSA sont souvent sujettes à des perceptions sensorielles plus, ou moins, intenses que la moyenne. On parle fréquemment d'hyperacousie pour les personnes ne tolérant pas le bruit jugé acceptable par la majorité. Je fais partie de ces personnes et mon sommeil s'en voit grandement perturbé, même muni de bouchons d'oreilles. Je passe la major partie de ma journée avec un casque anti-bruit, à la maison comme au travail.
L'hyper ou l'hypo sensibilité à la lumière est une chose récurrente également. Pour ma part, la lumière artificielle tamisée chaude est la seule option possible après le coucher du soleil mais certains seront dans la nécessité d'y voir comme en plein jour.
L'hyper acuité olfactive rend, pour ma part, très difficiles les virées dans certains magasins (en particulier les rayons cosmétiques) dont les odeurs me donnent instantanément le sentiment d'étouffer.
Beaucoup sont également sensibles au touché. Toutes ces perceptions font partie de l'hyperesthésie et sont fréquentes chez les personnes autistes.
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Illustration générée par IA (Craiyon)
Intérêts spécifiques
Chaque être humain a ses centres d'intérêt. Parfois, ces derniers rassemblent une partie non négligeable de la population, comme le sport ou la musique. Chez les personnes autistes, ces centres d'intérêt sont parfois restreints mais, lorsque nous avons une passion, cette dernière prend une place tellement conséquente dans notre vie qu'elle en devient omniprésente. Souvent, ces intérêts sont très spécifiques à une branche d'un domaine et paraissent étranges aux yeux de notre entourage. La plupart du temps, certains d'entre eux prennent une place telle que la notion même de temps devient abstraite. Pour illustrer mon propos, j'ai une âme de collectionneur et, outre mes 70 consoles de jeux vidéo, j'aime collectionner des appareils électroniques du millénaire précèdent. Dans mon antre de collectionneur compulsif, il y a un tablar réservé principalement aux calculatrices des années 80. Ces dernières ne fonctionnent pas et n'ont aucune valeur mais je ne m'en séparerai pas. Pour prendre un autre exemple, illustrant la notion de temps abstrait, ce site internet, sur lequel vous vous trouvez, est l'un de mes intérêts spécifiques. Je me lève entre 2h30 et 4h30 du matin uniquement pour pouvoir écrire avant d'aller travailler. Les week-ends, il m'arrive d'écrire 8 heures d'affiler sans m'en rendre compte, en sautant les repas.
Les intérêts spécifiques sont très importants pour les personnes vivant avec un TSA. Il est capital de ne pas les priver de ces derniers car ils constituent leur bulle de satisfaction et de stabilité. Les rendre inaccessibles ou les dévaloriser pourrait susciter angoisses et dépression.
Autostimulation ou Stimming
Le terme "Stimming" revient régulièrement dans le milieu. Ce dernier est un anglicisme signifiant Self Stimulatory Behavior ou autostimulation dans la langue de Molière. Le Stimming concerne l'intégralité de la population mais pour les personnes autistes, ce dernier se manifeste parfois sous des formes qui sortent de l'ordinaire. Si, lorsque vous êtes en réunion, vous avez tendance à ronger votre stylo, ou lorsque vous êtes stressé(e), votre jambe prend son indépendance en vibrant frénétiquement, c'est de l'autostimulation. Si ces manies sont socialement acceptées, pour les autistes, le Stimming peut susciter la curiosité, se manifestant sous forme de comportement répétitif comme le balancement ou frapper et secouer ses mains énergiquement (comportement nommé "flapping"). L'autostimulation a des bénéfices indéniables et il sont d'autant plus importants pour un individu avec un TSA qui doit faire face à des situations anxiogènes. Elle aide également à la proprioception puisque certains autistes ont du mal à situer leur corps dans l'espace.
Personnellement, lorsque je suis dans un état de stress, j'ai tendance à balancer ma tête d'avant en arrière en me mordillant les joues ou à marcher rapidement de longues minutes autour d'une table. Je fais également du flapping de temps à autre. M'étant adapté toute ma vie, j'ai le réflexe de contenir mes stéréotypies en public mais je compense par des actes plus discrets comme me frotter les mains et les bras. Une grande quantité d'objets de Stimming sont disponibles à l'achat sur le web. J'ai, pour ma part, opté pour le Fidget Spinner, objet socialement acceptable qui me canalise (et, évidemment, j'ai commencé une collection).
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Illustration générée par IA (DALL-E)
Ma vie post-diagnostic
Parfois, les parents, suspectant leur enfant d'un trouble du spectre autistique, ne préfèrent pas le diagnostiquer par peur de lui imposer une étiquette. C'est, à mon sens, une erreur car le diagnostic permets à une personne autiste de mieux se comprendre et d'adapter sa vie à son handicap. J'ai, personnellement, eu mon diagnostic à l'âge de 33 ans et, croyez-moi, j'aurais préféré le savoir plus tôt. J'ai vécu tant d'années dans la culpabilité de ne pas réussir à m'intégrer, de ne pas comprendre pourquoi les autres avaient de l'aisance sociale et pas moi, d'échouer dans des tâches semblant ordinaires, de faire de l'anxiété sociale lorsque plus de trois personnes se retrouvaient dans la même pièce que moi. Toutes ces choses ont engrangé de la dépression et de la misanthropie face à l'incompréhension et ce diagnostic a été une véritable libération.
Aujourd'hui, je travaille dans une entreprise respectueuse de ma différence, pour laquelle j'ai une reconnaissance infinie, qui s'adapte à mes problématiques et m'offre la possibilité de tirer profit des avantages de mon autisme (car oui, ce n'est pas une tare mais une différence). Mon travail fait partie de mes intérêts spécifiques ce qui est un atout non négligeable. Vivant avec mon âme sœur, également diagnostiquée, ma vie personnelle est, au même titre que ma vie professionnelle, épanouissante et emplie de bonheur.
Je souhaite à toutes les personnes vivant avec un trouble du spectre autistique de trouver leur équilibre et de pouvoir vivre sereinement. Nous sommes passionné(e)s, soucieu(ses)x de bien faire et déterminé(e)s.
L'autisme peut être une force!
Bien à vous
Le renard
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Sources :
Autistes sans frontière. L'autisme, c'est quoi? autistessansfrontieres.com
https://www.autistessansfrontieres.com/autisme/quoi/
Hop Toys (2021, 15 février).Stimming : tout savoir sur l'autostimulation. bloghoptoys.fr
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